Conférence Sébastien Ludwig

Christian Devillers : le projet urbain en héritage

Sébastien Ludwig

Architecte-urbaniste
Directeur général de l'agence D&A (Paris)
 

Mardi 14 octobre 2025 / 18h

Projet ZAC Nice Méridia - Photo : Antoine Duhamel


Aux origines de l'agence D&A, l'Atelier d'Urbanisme et d'Architecture fondé dans les années 60 a été un laboratoire sans équivalent : première grande agence pluridisciplinaire française, il rassemblait architectes, urbanistes, historien, paysagistes, ingénieurs, sociologues et économistes. Parmi eux, des figures comme Paul Chemetov, Bernard Huet, Michel Corajoud, Alexandre Chemetoff ou encore Henri Raymond, tous réunis dans une approche collective du projet. L'atelier incarnait un manifeste : croiser les savoirs, ouvrir l'atelier, fabriquer du commun.
Christian Devillers y est entré en 1974. Nourri d'histoire, de géographie, de sociologie et de sciences techniques, il a développé rapidement une pensée critique du projet. Contre « la posture d'architecte-artiste héritée des Beaux-Arts », il revendique celle d'un artisan de la transformation urbaine et, contre le geste isolé, il promeut la transversalité.
Élaborée par Devillers dans les années 1970 comme alternative critique à l'urbanisme réglementaire, la notion de projet urbain prend racine dans un article fondateur publié en 1976 dans L'Architecture d'Aujourd'hui (n°187) sous le pseudonyme Alfred Max. Intitulé Pour un projet de forme urbaine, ce texte ne se contente pas d'introduire un vocabulaire inédit : il inaugure une nouvelle manière de penser et de conduire la transformation des villes.
La pensée de Christian Devillers s'est construite dans une dialectique constante entre théorie et pratique. Dès les années 1970, il affirme une posture d'architecte-chercheur : ni maître d'oeuvre isolé, ni théoricien détaché du terrain, mais praticien critique, engagé dans la transformation des territoires à partir de l'observation du réel.

Le projet urbain n'est ni un dispositif figé ni une recette technique, mais une pensée vivante de la transformation des territoires, capable de composer avec les contraintes pour mieux les détourner. Réinventer le projet urbain suppose de rompre avec l'homogénéisation, tout en intégrant les logiques économiques et techniques pour mieux les infléchir. Il s'agit de passer d'une ville de modèles reproductibles à une ville habitée, conçue sur-mesure à partir de ses habitants, de ses milieux, de ses ressources et de ses savoir-faire.
La crise climatique ne fait que renforcer cette remise en question. La ville est aujourd'hui à la fois responsable de déséquilibres environnementaux majeurs et particulièrement vulnérable à leurs effets. Si le projet urbain se résume à l'artificialisation de sols vierges ou à la consommation d'espaces naturels, il ne peut qu'être décrié à juste titre. Le temps est venu de réinterroger ses finalités et ses méthodes, à l'aune des limites planétaires et de la nécessité de préserver les ressources.
Le projet urbain accompagne ces mutations : il peut être autant un outil de croissance, qu'un outil d'accompagnement de la décroissance, de régénération, d'adaptation. Il n'oppose pas l'urbain et le rural : il lie les espaces productifs, agricoles, artisanaux, logistiques, aux espaces résidentiels, de travail, de soin ou de sociabilité. Pluridisciplinaire par nature, il se nourrit de l'urbanisme, du paysage, de l'architecture, mais aussi de la sociologie, de l'économie et de la recherche.


Projet ZAC Nice Méridia - Photo : Antoine Duhamel

Sébastien Ludwig est architecte-urbaniste et Directeur Général de l'agence D&A (Devillers & Associés). Ancien élève de l'école nationale supérieure d'architecture de Nancy, il y a été formé au début des années 2000 au projet urbain par André Vaxelaire et Marc Verdier, dans une école où enseignait également Christian Devillers, fondateur de l'agence et théoricien de ce concept.

Architecte diplômé d'état en 2008 puis HMONP en 2012, il a débuté sa carrière à Amsterdam, avant de rejoindre Paris et l'agence Philipon-Kalt, où il a travaillé sur l'écoquartier fluvial de l'Île Saint-Denis, devenu en 2024 le Village des athlètes des Jeux de Paris 2024.
Directeur du pôle Ville et Territoire de 2020 à 2025, il a développé une approche exigeante où urbanisme, architecture et paysage s'articulent étroitement, avec une attention particulière portée à la qualité des usages, des ambiances et de la vie quotidienne. Associé depuis 2019, il est aujourd'hui directeur général de l'agence, assurant la continuité de l'héritage intellectuel et méthodologique de Christian Devillers tout en accompagnant les mutations contemporaines de la fabrique urbaine.